Si jamais vous avez fait l'impasse sur certains de mes articles où même si vous ne m'avez jamais lu et que vous vous contentez des photos, je ne saurais que vous conseiller de lire ce billet-là!
A propos de Kolkata:
A propos de Kolkata:
Un livre: La Cité de la Joie, Dominique Lapierre.
Un film: Kids with Cameras, Ross Kauffman.
COMME UNE INTRODUCTION
Je n'avais rien entendu sur Kolkata hormis le fait qu'il fallait que j'y rende. Je n'ai pas vu les bidonvilles, comprendre que la 3eme ville la plus peuplée de l'Inde (15M d'habitants, vient apres Mumbai-Bombay, 19M, et Delhi, 17M) ne se réduit pas à des slums. On a renomme la ville Kolkata depuis 2001 seulement, le nom de la ville est prononce ainsi en bengali. Sous le nom de Calcutta, la ville (jusqu'en 1911) fut la capitale du Raj , l'Empire britannique des Indes Orientales. Elle a conservé un immense héritage de cette période de fastes et d'apparats.
D'abord architectural. Dans la ville nouvelle, des bâtiments d’une apparence massive se dressent encore, la plupart très fatigués, et si une végétation sauvage, tropicale, n’avait pas pris le dessus sur les façades défraîchies, on pourrait se croire en Europe! Mis à part tout le reste bien sûr: traverser la rue relève d’une péripétie homérique et tous les marchands me réperaient à 200 mètres et étaient persuadés que j’allais acheter leur stock de stylos, de jus de mangue, d’icônes hindoues ou de pièces automobiles. J’étais aussi littéralement assailli par les beggars, les mendiants, qui sont partout dans la ville, exhibant leurs corps ravagés par la lèpre, ou leurs enfants dénutris et mutilés (comme un enfant infirme rapportera plus d’argent en mendiant, il n’est pas rare que les nourrissons soient estropiés intentionnellement). Ma sensibilité par rapport à ces horreurs a été mise à l’épreuve dès mon arrivée en Inde: c’est un aspect sordide du pays auquel on ne peut échapper.
Or je n’avais pas une roupie sur moi, ni pour les commerçants ni pour les beggars.
Pourquoi? Je vais vous narrer l’épisode le plus angoissant de mon voyage indien.
A CRAZY RIDE
A 6 heures le matin, mon train de nuit qui portait le nom de Darjeeling Mail arriva dans l’une des deux gares de Kolkata, Sealdah. Si le nom du train ne vous fait pas penser au Darjeeling Limited, ruez-vous sur le réjouissant film du même nom de Wes Anderson, vous allez avoir une bonne idée (en complément de ce blog!) de ce qu’est un voyage en Inde, un voyage qui pourrait ressembler au mien, le confort de leur train en plus.
Ainsi, j’arrivai à l’aube dans cette ville inconnue, et pas dans le meilleur quartier, les bâtiments du Raj étaient bien loin de cette partie de la ville… J’ai un sac à dos de 15 kilos sur mes épaules courbatues et il ne me reste qu’une centaine de roupies en poche (environ 1,50€). Je m’explique. Tout d’abord je dois dire que ma carte bancaire me fit la bonne surprise d’être périmée à Kathmandu. Cela excluait donc le recours au retrait. Je devais me débrouiller avec ce qui me restait en liquide! Croyant changer toutes mes roupies népalaises à la frontière, je m’aperçus vite que j’avais oublié d’en changer la moitié, perturbé après une nuit blanche passée à lire… Il me restait donc 2000 NRP (20€), qu’il me fallait impérativement changer en IRP (Indian Rupees), si vous suivez… Autre donnée, je trouve dans mon portefeuille métallique un billet de 50 SG$ (ok, ok, Singapore Dollars) ce qui représente environ 25€, largement assez pour ma journée de visite à Kolkata et pour rentrer à Chennai. Bref, je me mets en chasse d’un bureau de change, dans les conditions que je vous ai décrites plus haut. Et à 7h du matin, je me résous à prendre un taxi, lui expliquant qu’il faut qu’il me trouve un bureau de change, faute de quoi je ne pourrais le payer. Il me demande quelle monnaie je veux changer, je lui montre et on est partis à travers la ville. On roule longtemps. Je regarde sur la carte qu’il y a dans le Lonely Planet, nous sommes assez loin dans le Sud de la ville, nous venons de rouler pendant une demi-heure et je continue à lui demander s’il sait où aller, où est-ce qu’il y a un bureau de change. Après un coup d’œil dans mon portefeuille, je réalise que j’ai commis l’Erreur. J’ai donné au chauffeur mon billet salvateur. Quand je lui demande de me le rendre, il argue que je n’ai pas d’argent pour le payer… La situation est absurde, mais pas comique du tout. A partir de ce moment, le chauffeur fait tout pour me larguer de son taxi. Par deux fois il s’arrête au milieu d’un grand pont autoroutier, s’éloigne de son véhicule de quelques mètres et fait mine de regarder quelque chose et insiste pour que je le rejoigne: regarde, il y a un bureau de change en contrebas, me dit-il.
Il me fait aussi le coup de la panne. Il faut que je pousse pour que le taxi redémarre, mais bien sûr. Après lui avoir lancé mon regard d’exaspération le plus noir, il comprend qu’il n’y arrivera de cette manière. C’est très stressant comme situation, je vois bien qu’il veut m’abandonner là, et j’ai peur pour mon sac a dos. Quitte à me battre, je garderai ce sac. Nous passons devant plusieurs postes de police et je n’ai pas la force de crier à l’aide, ne sachant pas comment le chauffeur va réagir. Je n’ai pas envie de me mettre plus en danger.
BAD THOUGHTS BAD FEELINGS
Il est maintenant 9 heures du matin et je me demande comment l’histoire va finir. Quand nous sommes arrêtés à un feu, j’envisage plusieurs fois de passer mon bras autour de la gorge de l’homme qui est devant moi, de serrer assez fort pour lui reprendre le billet et mettre fin à cette course folle. Je n’en ai pas le courage. Je n’ai rien pour le menacer et me sens faible. Nous nous arrêtons enfin devant un bureau de change. Le driver se gare de l’autre côté de la rue, et traverse en courant. Deux secondes de réflexion et je décide de prendre mon sac avec moi, ne laissant rien dans la voiture. La porte est ouverte, le garde est endormi, avachi sur un fauteuil, avec pour compagnie la télévision qui diffuse une comédie musicale. On le réveille, il nous dit qu’il ouvre dans une demi-heure. Avant que l’employé n’ait pu finir sa phrase, le chauffeur de taxi s’est déjà rué sur l’avenue et court vers son véhicule, en esquivant le flot de la circulation matinale. Comme je suis assez habile à ce jeu-là moi aussi, je le poursuis. Quand j’arrive à la hauteur du taxi, il est déjà au volant et démarre. Il me met dans le vent. A quel point faut-il être désespéré pour détrousser un voyageur étranger qui n’a eu de cesse de répéter que c’était tout ce qu’il lui restait d’argent…
Il vient de me voler l’équivalent de 1600 IRP, et il ne me reste plus que mes roupies népalaises, difficiles à échanger et à un taux de beaucoup inférieur à celui de la frontière. La colère me submerge et j’hurle dans la rue en le voyant disparaître au loin. Je dois ressembler au Capitaine Haddock lors de ses fameuses fureurs: je deviens cramoisi, j’insulte, je saute sur place. Certains passants viennent vers moi et me demande ce qui s’est passé, je les envoie paître, tous.
Je ne trouve que deux heures plus tard un endroit pour changer mes roupies népalaises, après avoir mangé avec les quelques roupies indiennes qui me restaient et que du coup je n’avais pas donné au driver. Je me fais exploser sur le taux de change, mes 2000 NRP me donnent 800 IRP, alors qu’à la frontière elles seraient devenues 1200 IRP. Bref, je suis à ça près maintenant.
THE MONEYLESS TOURIST
Je dois passer une longue journée à Kolkata, donc il me faut me nourrir, au minimum, et surtout payer mon trajet en train (700 IRP pour une réservation en classe Sleepers, la classe avec couchettes la moins chère) pour rentrer à Chennai, chez mon frère. A midi, je me retrouve à faire la queue dans l’immense gare de Howrah pour réserver un billet. Une heure et demie d’attente inutile, il n’y a plus de réservation disponible. Je prends donc un billet unreserved, à 300 roupies, sachant que si je veux une place sur une couchette, il faudra donner un bakchich au contrôleur d’au moins 200 roupies.
Je décide malgré tout ça de découvrir Kolkata, je marche seul à travers la ville en esquivant tous les endroits où il faut payer des droits d’entrée (je me refuse même l’Eglise St-John, 10 roupies pour visiter!). Je mange au milieu de la journée des Dosaï pour 7 roupies, et j’achète une seule bouteille d’eau dans la journée, 12 roupies. Comprenez-moi, je pense au trajet en train: il va durer, tenez-vous bien… 40 heures! 2 nuits et presque 2 jours. Il faut que j’ai au moins de quoi boire pendant le trajet. Et en Inde, en tant que Blanc, comment penser demander à quelqu’un de m’aider? Ce n’est juste pas pensable. En outre, je n’ai pas vu un seul Occidental durant toute la journée, ni durant tout le voyage. Dans cette gare immense, pas un groupe de touristes japonais, pas un seul voyageur américain… Bien sûr, les touristes prennent l’avion généralement, mais j’ai quand même arpenté une bonne partie de la ville et je n’ai pas vu un seul visage non indien! En fait je n’ai pas vu d’Occidentaux depuis Kathmandu (7 jours) et je n’ai pas su le nom de l’équipe vainqueur de l’Euro avant d’arriver à Pondichéry, 6 jours après la finale.
FINALLY ABOARD
Dans le train, je passe les 5 premières heures assis sur mon sac, contre la porte des chiottes, car il n’y a pas que moi dans le couloir. Au deuxième passage du contrôleur, un homme avec qui j’ai sympathisé sur le quai parle pour moi au préposé, et m’obtiens une couchette. Je ne paie rien. Le contrôleur dit, plus tard, quand je repasserai, bref je n’avais plus qu’à me cacher quand il repasserait, c’est ce que j’ai fait.
Il me reste ainsi assez d’argent pour manger pendant ces deux jours, mais dans ce train-là, la nourriture n’était pas à se lécher les doigts. Enfin, si, évidemment, pour les nettoyer!
MEETING A BRAHMIN
Moitié du temps perché sur ma couchette, l’autre moitié à parler avec mes voisins, celui qui a le meilleur anglais est brahmane, la plus haute caste dans la hiérachie sociale hindoue. Il est aussi membre de l’ISKON (International Society for Krishna Consciousness). Très répandue en Europe et USA et plus connue sous le nom de Hare Krishna, elle est considérée comme une secte en France. Je ne vous dirai pas ici ce que j’en pense. Il m’explique énormément de choses, sur sa caste de prêtres, sur le mariage hindu, sur Lord Krishna et la discipline à laquelle doivent se tenir ses adeptes, sur la musique religieuse. Il apprend un chant actuellement, mais les variations de voix et les différentes subtilités des phases de la mélopée sont tellement complexes qu’il lui faudra encore 5 années d’apprentissage pour le maîtriser. Son guru-ji, son professeur, est en fond d’écran sur son téléphone portable. Mais il n’avait pas sa future femme en photo car il ne l’a véritablement rencontrée que 3 fois en 5 ans. Elle est brahmane aussi, les upper castes ne se marient qu'entre eux. Il a demandé sa main à la mère de la jeune fille, et celle-ci a accepté. Il a une très bonne situation professionnelle il faut dire, travaillant depuis 8 ans dans l’export.
Durant le trajet, assis sur la margelle du train en regardant les paysages de l’Etat d’Orissa que nous traversons, il me fait écouter de la musique traditionnelle en m’expliquant les 8 temps qui composent la structure de toute musique sacrée hindoue. Je décide de lui faire découvrir à mon tour la musique que j’écoute. Je lui demande s’il est prêt à écouter quelque chose qu’il n’a jamais entendu. Avec excitation et un grand sourire qui en disait long sur sa curiosité, il met les écouteurs d’Ipod dans ses oreilles, et je balance le remix de My Moon My Man de Feist par Boys Noize, j’enchaîne avec Phantom puis Waters of Nazareth de Justice, puis, a sa demande, quelques Nocturnes de Chopin et Trois Gymnopedie d’Erik Satie. Je finis par Singin in the Rain par Gene Kelly. Il ne connaissait rien de tout cela, ce qui illustra à mes yeux le très particulier hermétisme indien à la culture occidentale au sens large, en dépit des siècles de colonisation britannique et portugaise. Mais si je le branchais sur le cricket, sur Bollywood ou sur l’épopée de Ramayana, il était comme dans son bain.
SOME RELIEF
Le train arrive en gare de Chennai, et je me dis, yes, ça y est je l’ai fait, j’y suis arrivé, Kolkata-Chennai en train avec l’équivalent de 10€ en poche!
Je suis tellement heureux de revoir mon frère. Quand il rentre du travail, il trouve son appartement redécoré avec des drapeaux de prière bouddhistes qui ne vont pas tarder de s’emmêler dans les ventilos du plafond! On se fait une petite session photos, je lui montre mes trésors de voyage et, comme j’en rêvais, on commande des pizzas et on regarde un film! (Broken Flowers de Jim Jarmush, go for it!) J’adore ces moments-là avec Pierre. On fera ça jusqu’à la fin de notre vie je crois.
COMME UNE INTRODUCTION
Je n'avais rien entendu sur Kolkata hormis le fait qu'il fallait que j'y rende. Je n'ai pas vu les bidonvilles, comprendre que la 3eme ville la plus peuplée de l'Inde (15M d'habitants, vient apres Mumbai-Bombay, 19M, et Delhi, 17M) ne se réduit pas à des slums. On a renomme la ville Kolkata depuis 2001 seulement, le nom de la ville est prononce ainsi en bengali. Sous le nom de Calcutta, la ville (jusqu'en 1911) fut la capitale du Raj , l'Empire britannique des Indes Orientales. Elle a conservé un immense héritage de cette période de fastes et d'apparats.
D'abord architectural. Dans la ville nouvelle, des bâtiments d’une apparence massive se dressent encore, la plupart très fatigués, et si une végétation sauvage, tropicale, n’avait pas pris le dessus sur les façades défraîchies, on pourrait se croire en Europe! Mis à part tout le reste bien sûr: traverser la rue relève d’une péripétie homérique et tous les marchands me réperaient à 200 mètres et étaient persuadés que j’allais acheter leur stock de stylos, de jus de mangue, d’icônes hindoues ou de pièces automobiles. J’étais aussi littéralement assailli par les beggars, les mendiants, qui sont partout dans la ville, exhibant leurs corps ravagés par la lèpre, ou leurs enfants dénutris et mutilés (comme un enfant infirme rapportera plus d’argent en mendiant, il n’est pas rare que les nourrissons soient estropiés intentionnellement). Ma sensibilité par rapport à ces horreurs a été mise à l’épreuve dès mon arrivée en Inde: c’est un aspect sordide du pays auquel on ne peut échapper.
Or je n’avais pas une roupie sur moi, ni pour les commerçants ni pour les beggars.
Pourquoi? Je vais vous narrer l’épisode le plus angoissant de mon voyage indien.
A CRAZY RIDE
A 6 heures le matin, mon train de nuit qui portait le nom de Darjeeling Mail arriva dans l’une des deux gares de Kolkata, Sealdah. Si le nom du train ne vous fait pas penser au Darjeeling Limited, ruez-vous sur le réjouissant film du même nom de Wes Anderson, vous allez avoir une bonne idée (en complément de ce blog!) de ce qu’est un voyage en Inde, un voyage qui pourrait ressembler au mien, le confort de leur train en plus.
Ainsi, j’arrivai à l’aube dans cette ville inconnue, et pas dans le meilleur quartier, les bâtiments du Raj étaient bien loin de cette partie de la ville… J’ai un sac à dos de 15 kilos sur mes épaules courbatues et il ne me reste qu’une centaine de roupies en poche (environ 1,50€). Je m’explique. Tout d’abord je dois dire que ma carte bancaire me fit la bonne surprise d’être périmée à Kathmandu. Cela excluait donc le recours au retrait. Je devais me débrouiller avec ce qui me restait en liquide! Croyant changer toutes mes roupies népalaises à la frontière, je m’aperçus vite que j’avais oublié d’en changer la moitié, perturbé après une nuit blanche passée à lire… Il me restait donc 2000 NRP (20€), qu’il me fallait impérativement changer en IRP (Indian Rupees), si vous suivez… Autre donnée, je trouve dans mon portefeuille métallique un billet de 50 SG$ (ok, ok, Singapore Dollars) ce qui représente environ 25€, largement assez pour ma journée de visite à Kolkata et pour rentrer à Chennai. Bref, je me mets en chasse d’un bureau de change, dans les conditions que je vous ai décrites plus haut. Et à 7h du matin, je me résous à prendre un taxi, lui expliquant qu’il faut qu’il me trouve un bureau de change, faute de quoi je ne pourrais le payer. Il me demande quelle monnaie je veux changer, je lui montre et on est partis à travers la ville. On roule longtemps. Je regarde sur la carte qu’il y a dans le Lonely Planet, nous sommes assez loin dans le Sud de la ville, nous venons de rouler pendant une demi-heure et je continue à lui demander s’il sait où aller, où est-ce qu’il y a un bureau de change. Après un coup d’œil dans mon portefeuille, je réalise que j’ai commis l’Erreur. J’ai donné au chauffeur mon billet salvateur. Quand je lui demande de me le rendre, il argue que je n’ai pas d’argent pour le payer… La situation est absurde, mais pas comique du tout. A partir de ce moment, le chauffeur fait tout pour me larguer de son taxi. Par deux fois il s’arrête au milieu d’un grand pont autoroutier, s’éloigne de son véhicule de quelques mètres et fait mine de regarder quelque chose et insiste pour que je le rejoigne: regarde, il y a un bureau de change en contrebas, me dit-il.
Il me fait aussi le coup de la panne. Il faut que je pousse pour que le taxi redémarre, mais bien sûr. Après lui avoir lancé mon regard d’exaspération le plus noir, il comprend qu’il n’y arrivera de cette manière. C’est très stressant comme situation, je vois bien qu’il veut m’abandonner là, et j’ai peur pour mon sac a dos. Quitte à me battre, je garderai ce sac. Nous passons devant plusieurs postes de police et je n’ai pas la force de crier à l’aide, ne sachant pas comment le chauffeur va réagir. Je n’ai pas envie de me mettre plus en danger.
BAD THOUGHTS BAD FEELINGS
Il est maintenant 9 heures du matin et je me demande comment l’histoire va finir. Quand nous sommes arrêtés à un feu, j’envisage plusieurs fois de passer mon bras autour de la gorge de l’homme qui est devant moi, de serrer assez fort pour lui reprendre le billet et mettre fin à cette course folle. Je n’en ai pas le courage. Je n’ai rien pour le menacer et me sens faible. Nous nous arrêtons enfin devant un bureau de change. Le driver se gare de l’autre côté de la rue, et traverse en courant. Deux secondes de réflexion et je décide de prendre mon sac avec moi, ne laissant rien dans la voiture. La porte est ouverte, le garde est endormi, avachi sur un fauteuil, avec pour compagnie la télévision qui diffuse une comédie musicale. On le réveille, il nous dit qu’il ouvre dans une demi-heure. Avant que l’employé n’ait pu finir sa phrase, le chauffeur de taxi s’est déjà rué sur l’avenue et court vers son véhicule, en esquivant le flot de la circulation matinale. Comme je suis assez habile à ce jeu-là moi aussi, je le poursuis. Quand j’arrive à la hauteur du taxi, il est déjà au volant et démarre. Il me met dans le vent. A quel point faut-il être désespéré pour détrousser un voyageur étranger qui n’a eu de cesse de répéter que c’était tout ce qu’il lui restait d’argent…
Il vient de me voler l’équivalent de 1600 IRP, et il ne me reste plus que mes roupies népalaises, difficiles à échanger et à un taux de beaucoup inférieur à celui de la frontière. La colère me submerge et j’hurle dans la rue en le voyant disparaître au loin. Je dois ressembler au Capitaine Haddock lors de ses fameuses fureurs: je deviens cramoisi, j’insulte, je saute sur place. Certains passants viennent vers moi et me demande ce qui s’est passé, je les envoie paître, tous.
Je ne trouve que deux heures plus tard un endroit pour changer mes roupies népalaises, après avoir mangé avec les quelques roupies indiennes qui me restaient et que du coup je n’avais pas donné au driver. Je me fais exploser sur le taux de change, mes 2000 NRP me donnent 800 IRP, alors qu’à la frontière elles seraient devenues 1200 IRP. Bref, je suis à ça près maintenant.
THE MONEYLESS TOURIST
Je dois passer une longue journée à Kolkata, donc il me faut me nourrir, au minimum, et surtout payer mon trajet en train (700 IRP pour une réservation en classe Sleepers, la classe avec couchettes la moins chère) pour rentrer à Chennai, chez mon frère. A midi, je me retrouve à faire la queue dans l’immense gare de Howrah pour réserver un billet. Une heure et demie d’attente inutile, il n’y a plus de réservation disponible. Je prends donc un billet unreserved, à 300 roupies, sachant que si je veux une place sur une couchette, il faudra donner un bakchich au contrôleur d’au moins 200 roupies.
Je décide malgré tout ça de découvrir Kolkata, je marche seul à travers la ville en esquivant tous les endroits où il faut payer des droits d’entrée (je me refuse même l’Eglise St-John, 10 roupies pour visiter!). Je mange au milieu de la journée des Dosaï pour 7 roupies, et j’achète une seule bouteille d’eau dans la journée, 12 roupies. Comprenez-moi, je pense au trajet en train: il va durer, tenez-vous bien… 40 heures! 2 nuits et presque 2 jours. Il faut que j’ai au moins de quoi boire pendant le trajet. Et en Inde, en tant que Blanc, comment penser demander à quelqu’un de m’aider? Ce n’est juste pas pensable. En outre, je n’ai pas vu un seul Occidental durant toute la journée, ni durant tout le voyage. Dans cette gare immense, pas un groupe de touristes japonais, pas un seul voyageur américain… Bien sûr, les touristes prennent l’avion généralement, mais j’ai quand même arpenté une bonne partie de la ville et je n’ai pas vu un seul visage non indien! En fait je n’ai pas vu d’Occidentaux depuis Kathmandu (7 jours) et je n’ai pas su le nom de l’équipe vainqueur de l’Euro avant d’arriver à Pondichéry, 6 jours après la finale.
FINALLY ABOARD
Dans le train, je passe les 5 premières heures assis sur mon sac, contre la porte des chiottes, car il n’y a pas que moi dans le couloir. Au deuxième passage du contrôleur, un homme avec qui j’ai sympathisé sur le quai parle pour moi au préposé, et m’obtiens une couchette. Je ne paie rien. Le contrôleur dit, plus tard, quand je repasserai, bref je n’avais plus qu’à me cacher quand il repasserait, c’est ce que j’ai fait.
Il me reste ainsi assez d’argent pour manger pendant ces deux jours, mais dans ce train-là, la nourriture n’était pas à se lécher les doigts. Enfin, si, évidemment, pour les nettoyer!
MEETING A BRAHMIN
Moitié du temps perché sur ma couchette, l’autre moitié à parler avec mes voisins, celui qui a le meilleur anglais est brahmane, la plus haute caste dans la hiérachie sociale hindoue. Il est aussi membre de l’ISKON (International Society for Krishna Consciousness). Très répandue en Europe et USA et plus connue sous le nom de Hare Krishna, elle est considérée comme une secte en France. Je ne vous dirai pas ici ce que j’en pense. Il m’explique énormément de choses, sur sa caste de prêtres, sur le mariage hindu, sur Lord Krishna et la discipline à laquelle doivent se tenir ses adeptes, sur la musique religieuse. Il apprend un chant actuellement, mais les variations de voix et les différentes subtilités des phases de la mélopée sont tellement complexes qu’il lui faudra encore 5 années d’apprentissage pour le maîtriser. Son guru-ji, son professeur, est en fond d’écran sur son téléphone portable. Mais il n’avait pas sa future femme en photo car il ne l’a véritablement rencontrée que 3 fois en 5 ans. Elle est brahmane aussi, les upper castes ne se marient qu'entre eux. Il a demandé sa main à la mère de la jeune fille, et celle-ci a accepté. Il a une très bonne situation professionnelle il faut dire, travaillant depuis 8 ans dans l’export.
Durant le trajet, assis sur la margelle du train en regardant les paysages de l’Etat d’Orissa que nous traversons, il me fait écouter de la musique traditionnelle en m’expliquant les 8 temps qui composent la structure de toute musique sacrée hindoue. Je décide de lui faire découvrir à mon tour la musique que j’écoute. Je lui demande s’il est prêt à écouter quelque chose qu’il n’a jamais entendu. Avec excitation et un grand sourire qui en disait long sur sa curiosité, il met les écouteurs d’Ipod dans ses oreilles, et je balance le remix de My Moon My Man de Feist par Boys Noize, j’enchaîne avec Phantom puis Waters of Nazareth de Justice, puis, a sa demande, quelques Nocturnes de Chopin et Trois Gymnopedie d’Erik Satie. Je finis par Singin in the Rain par Gene Kelly. Il ne connaissait rien de tout cela, ce qui illustra à mes yeux le très particulier hermétisme indien à la culture occidentale au sens large, en dépit des siècles de colonisation britannique et portugaise. Mais si je le branchais sur le cricket, sur Bollywood ou sur l’épopée de Ramayana, il était comme dans son bain.
SOME RELIEF
Le train arrive en gare de Chennai, et je me dis, yes, ça y est je l’ai fait, j’y suis arrivé, Kolkata-Chennai en train avec l’équivalent de 10€ en poche!
Je suis tellement heureux de revoir mon frère. Quand il rentre du travail, il trouve son appartement redécoré avec des drapeaux de prière bouddhistes qui ne vont pas tarder de s’emmêler dans les ventilos du plafond! On se fait une petite session photos, je lui montre mes trésors de voyage et, comme j’en rêvais, on commande des pizzas et on regarde un film! (Broken Flowers de Jim Jarmush, go for it!) J’adore ces moments-là avec Pierre. On fera ça jusqu’à la fin de notre vie je crois.
Cricket players
Howrah Bridge, le pont le plus frequente au monde
La gare de Howrah
Kolkata-Chennai, 40h de train
Mon pote le brahmane a droite, un etudiant a gauche
Paysage de l'Etat costal d'Orissa
C’est ainsi que s’achèva un voyage inoubliable d’un mois en Inde du Nord et au Népal.
7 commentaires:
^^
Ce blog prend une tournure tragique... sauf à la fin du post !
Quel a du être ton soulagement et ton apaisement en voyant une personne familière...
Je crois que c'est le premier post qui m'émeut autant... t'écris bien mon Vincent :)
De lire tout ça, ça me fait penser au fait que le voyageur a bien un statut à part; il a est membre d'une communauté d'une nature telle qu'il n'en est jamais hors, donc seul d'une certaine façon; c'est assez rare pour lui de ne pas rencontrer un semblable..peut être à Cluses..et encore, deux voyageurs avec un mauvais sens de l'orientation pourraient quand même s'être trompés et s'y trouver au même moment (bon ok faudrait vraiment qu'ils soient pas doués) ..parce qu'il sait qu'il ne reste pas, il n'a pas à se construire un chez lui...du moins il sait qu'il part quand il veut (presque, et en cas de difficulté, le départ devient son objectif vers lequel son activité est centrée); les échéances ne sont pas seulement la manifestation d'un contrat qui lie l'expatrié; le problème ne vient pas seulement du fait du sentiment potentiel de perte de liberté que croit avoir le voyageur, mais du quotidien que ne connaît pas le voyageur; parce que le quotidien, c'est la routine, et parce qu'il faut du temps pour ça...bref je sais plus ce que je voulais dire...ah si juste que pour avoir voyagé et pour avoir essayé de m'installer à l'étranger..ces deux expériences sont vraiment très différentes. Je me dis aussi que peut etre ce n'est qu'une disposition d'esprit, et que certains ont une capacité à ne pas se projeter malgré l'existence d'un terme fixe, et de devoir de rester vivre dans un endroit pour longtemps et évitent à tout prix de perdre leur statut de voyageur...ou est ce parce qu'il ont le sentiment d'avoir un chez eux bien ailleurs ?, qui ne changera jamais, et dans ce cas sont ils alors globalement plus réfractaires au changement, à l'adaptation ?..je doute qu'il refusent ou se fichent d'avoir un chez eux..., ça marche pas pour les gitans (pour avoir connu des gens du voyage, du terrain comme ils disent)...et pour avoir été voyageuse et potentielle expat dans le même pays, c'est marrant mais je trouve qu'il faut passer par ces deux chemins pour vraiment connaître un pays..et surtout, dans le deuxième cas, qu'il faut bien choisir sa destination !alors question : toi , Vincent, des pays que tu as traversés, ou est ce que tu ferais un chez toi? dis nous à quel endroit tu t'arrêterai pour expérimenter le quotidien?
Pauline, tu as excellemment bien cernée la problématique voyageur/expat', c'est brillant ...et brouillon :) et tu sais que c'est pour ça que je t'admire, ma chère.
Pour répondre à ta question conclusive, et je suis en mesure de te répondre, m'étant posé la question à chaque pays visité, je dirais d'abord que plusieurs paramètres entrent en compte pour moi: (dans l'ordre d'importance) la qualité de la vie culturelle artistique, le coût de la vie, la possibilité de participer à des réceptions chez l'Ambassadeur, l'indice du "Bonheur Intérieur Brut" (ça existe, si si), et la qualité de la vie nocturne. J'ajouterais que, dans la mesure où l'on peut tomber amoureux n'importe où et qu'à ce moment-là, plus grand-chose n'a d'importance, ces paramètres deviendraient dérisoires.
Bon restons sérieux, et pour jouer le jeu, j'aurais énormément de mal à choisir (comme réponse) entre l'Australie et Hong-Kong.
Pour expérimenter le quotidien.
Quelle drôle d'idée.
Très interessante cette réflexion sur le statut du voyageur...
que d'aventures mon vincent.. et quel connard ce chauffeur de taxi.. decidmeent.. les indiens sont pafois si rudes et haineux... ! Ayant été femme voyageuse dans ce pays.. j'ai egalement pu experimenter la chose.. mais.. plus on lit, plus on y repense et plus on a envie d'y retourner .. !
D'ailleurs.. j'aimerais bien ton avis.. ayant voyagé un peu de temps il me semble avec une fille, et en ayant surement rencontré d'autres voyageuses solitaires.. qu'est ce que tu en pense ?
Je veux dire.. crois tu qu'une fille pourrais voyager de la maniere que toi tu voyage ? Ou est ce juste une question de debrouille.. capacité a rencontrer les gens et à communiquer.. ect ??
Pleins de bizoux et merci encore de nous faire rever ainsi et de nous faire partager tes emotions (visuelles ou textuelles) avec autant de talent ;)
hiya
Just saying hello while I read through the posts
hopefully this is just what im looking for looks like i have a lot to read.
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