A propos de Kolkata:
COMME UNE INTRODUCTION
Je n'avais rien entendu sur Kolkata hormis le fait qu'il fallait que j'y rende. Je n'ai pas vu les bidonvilles, comprendre que la 3eme ville la plus peuplée de l'Inde (15M d'habitants, vient apres Mumbai-Bombay, 19M, et Delhi, 17M) ne se réduit pas à des slums. On a renomme la ville Kolkata depuis 2001 seulement, le nom de la ville est prononce ainsi en bengali. Sous le nom de Calcutta, la ville (jusqu'en 1911) fut la capitale du Raj , l'Empire britannique des Indes Orientales. Elle a conservé un immense héritage de cette période de fastes et d'apparats.
D'abord architectural. Dans la ville nouvelle, des bâtiments d’une apparence massive se dressent encore, la plupart très fatigués, et si une végétation sauvage, tropicale, n’avait pas pris le dessus sur les façades défraîchies, on pourrait se croire en Europe! Mis à part tout le reste bien sûr: traverser la rue relève d’une péripétie homérique et tous les marchands me réperaient à 200 mètres et étaient persuadés que j’allais acheter leur stock de stylos, de jus de mangue, d’icônes hindoues ou de pièces automobiles. J’étais aussi littéralement assailli par les beggars, les mendiants, qui sont partout dans la ville, exhibant leurs corps ravagés par la lèpre, ou leurs enfants dénutris et mutilés (comme un enfant infirme rapportera plus d’argent en mendiant, il n’est pas rare que les nourrissons soient estropiés intentionnellement). Ma sensibilité par rapport à ces horreurs a été mise à l’épreuve dès mon arrivée en Inde: c’est un aspect sordide du pays auquel on ne peut échapper.
Or je n’avais pas une roupie sur moi, ni pour les commerçants ni pour les beggars.
Pourquoi? Je vais vous narrer l’épisode le plus angoissant de mon voyage indien.
A CRAZY RIDE
A 6 heures le matin, mon train de nuit qui portait le nom de Darjeeling Mail arriva dans l’une des deux gares de Kolkata, Sealdah. Si le nom du train ne vous fait pas penser au Darjeeling Limited, ruez-vous sur le réjouissant film du même nom de Wes Anderson, vous allez avoir une bonne idée (en complément de ce blog!) de ce qu’est un voyage en Inde, un voyage qui pourrait ressembler au mien, le confort de leur train en plus.
Ainsi, j’arrivai à l’aube dans cette ville inconnue, et pas dans le meilleur quartier, les bâtiments du Raj étaient bien loin de cette partie de la ville… J’ai un sac à dos de 15 kilos sur mes épaules courbatues et il ne me reste qu’une centaine de roupies en poche (environ 1,50€). Je m’explique. Tout d’abord je dois dire que ma carte bancaire me fit la bonne surprise d’être périmée à Kathmandu. Cela excluait donc le recours au retrait. Je devais me débrouiller avec ce qui me restait en liquide! Croyant changer toutes mes roupies népalaises à la frontière, je m’aperçus vite que j’avais oublié d’en changer la moitié, perturbé après une nuit blanche passée à lire… Il me restait donc 2000 NRP (20€), qu’il me fallait impérativement changer en IRP (Indian Rupees), si vous suivez… Autre donnée, je trouve dans mon portefeuille métallique un billet de 50 SG$ (ok, ok, Singapore Dollars) ce qui représente environ 25€, largement assez pour ma journée de visite à Kolkata et pour rentrer à Chennai. Bref, je me mets en chasse d’un bureau de change, dans les conditions que je vous ai décrites plus haut. Et à 7h du matin, je me résous à prendre un taxi, lui expliquant qu’il faut qu’il me trouve un bureau de change, faute de quoi je ne pourrais le payer. Il me demande quelle monnaie je veux changer, je lui montre et on est partis à travers la ville. On roule longtemps. Je regarde sur la carte qu’il y a dans le Lonely Planet, nous sommes assez loin dans le Sud de la ville, nous venons de rouler pendant une demi-heure et je continue à lui demander s’il sait où aller, où est-ce qu’il y a un bureau de change. Après un coup d’œil dans mon portefeuille, je réalise que j’ai commis l’Erreur. J’ai donné au chauffeur mon billet salvateur. Quand je lui demande de me le rendre, il argue que je n’ai pas d’argent pour le payer… La situation est absurde, mais pas comique du tout. A partir de ce moment, le chauffeur fait tout pour me larguer de son taxi. Par deux fois il s’arrête au milieu d’un grand pont autoroutier, s’éloigne de son véhicule de quelques mètres et fait mine de regarder quelque chose et insiste pour que je le rejoigne: regarde, il y a un bureau de change en contrebas, me dit-il.
Il me fait aussi le coup de la panne. Il faut que je pousse pour que le taxi redémarre, mais bien sûr. Après lui avoir lancé mon regard d’exaspération le plus noir, il comprend qu’il n’y arrivera de cette manière. C’est très stressant comme situation, je vois bien qu’il veut m’abandonner là, et j’ai peur pour mon sac a dos. Quitte à me battre, je garderai ce sac. Nous passons devant plusieurs postes de police et je n’ai pas la force de crier à l’aide, ne sachant pas comment le chauffeur va réagir. Je n’ai pas envie de me mettre plus en danger.
BAD THOUGHTS BAD FEELINGS
Il est maintenant 9 heures du matin et je me demande comment l’histoire va finir. Quand nous sommes arrêtés à un feu, j’envisage plusieurs fois de passer mon bras autour de la gorge de l’homme qui est devant moi, de serrer assez fort pour lui reprendre le billet et mettre fin à cette course folle. Je n’en ai pas le courage. Je n’ai rien pour le menacer et me sens faible. Nous nous arrêtons enfin devant un bureau de change. Le driver se gare de l’autre côté de la rue, et traverse en courant. Deux secondes de réflexion et je décide de prendre mon sac avec moi, ne laissant rien dans la voiture. La porte est ouverte, le garde est endormi, avachi sur un fauteuil, avec pour compagnie la télévision qui diffuse une comédie musicale. On le réveille, il nous dit qu’il ouvre dans une demi-heure. Avant que l’employé n’ait pu finir sa phrase, le chauffeur de taxi s’est déjà rué sur l’avenue et court vers son véhicule, en esquivant le flot de la circulation matinale. Comme je suis assez habile à ce jeu-là moi aussi, je le poursuis. Quand j’arrive à la hauteur du taxi, il est déjà au volant et démarre. Il me met dans le vent. A quel point faut-il être désespéré pour détrousser un voyageur étranger qui n’a eu de cesse de répéter que c’était tout ce qu’il lui restait d’argent…
Il vient de me voler l’équivalent de 1600 IRP, et il ne me reste plus que mes roupies népalaises, difficiles à échanger et à un taux de beaucoup inférieur à celui de la frontière. La colère me submerge et j’hurle dans la rue en le voyant disparaître au loin. Je dois ressembler au Capitaine Haddock lors de ses fameuses fureurs: je deviens cramoisi, j’insulte, je saute sur place. Certains passants viennent vers moi et me demande ce qui s’est passé, je les envoie paître, tous.
Je ne trouve que deux heures plus tard un endroit pour changer mes roupies népalaises, après avoir mangé avec les quelques roupies indiennes qui me restaient et que du coup je n’avais pas donné au driver. Je me fais exploser sur le taux de change, mes 2000 NRP me donnent 800 IRP, alors qu’à la frontière elles seraient devenues 1200 IRP. Bref, je suis à ça près maintenant.
THE MONEYLESS TOURIST
Je dois passer une longue journée à Kolkata, donc il me faut me nourrir, au minimum, et surtout payer mon trajet en train (700 IRP pour une réservation en classe Sleepers, la classe avec couchettes la moins chère) pour rentrer à Chennai, chez mon frère. A midi, je me retrouve à faire la queue dans l’immense gare de Howrah pour réserver un billet. Une heure et demie d’attente inutile, il n’y a plus de réservation disponible. Je prends donc un billet unreserved, à 300 roupies, sachant que si je veux une place sur une couchette, il faudra donner un bakchich au contrôleur d’au moins 200 roupies.
Je décide malgré tout ça de découvrir Kolkata, je marche seul à travers la ville en esquivant tous les endroits où il faut payer des droits d’entrée (je me refuse même l’Eglise St-John, 10 roupies pour visiter!). Je mange au milieu de la journée des Dosaï pour 7 roupies, et j’achète une seule bouteille d’eau dans la journée, 12 roupies. Comprenez-moi, je pense au trajet en train: il va durer, tenez-vous bien… 40 heures! 2 nuits et presque 2 jours. Il faut que j’ai au moins de quoi boire pendant le trajet. Et en Inde, en tant que Blanc, comment penser demander à quelqu’un de m’aider? Ce n’est juste pas pensable. En outre, je n’ai pas vu un seul Occidental durant toute la journée, ni durant tout le voyage. Dans cette gare immense, pas un groupe de touristes japonais, pas un seul voyageur américain… Bien sûr, les touristes prennent l’avion généralement, mais j’ai quand même arpenté une bonne partie de la ville et je n’ai pas vu un seul visage non indien! En fait je n’ai pas vu d’Occidentaux depuis Kathmandu (7 jours) et je n’ai pas su le nom de l’équipe vainqueur de l’Euro avant d’arriver à Pondichéry, 6 jours après la finale.
FINALLY ABOARD
Dans le train, je passe les 5 premières heures assis sur mon sac, contre la porte des chiottes, car il n’y a pas que moi dans le couloir. Au deuxième passage du contrôleur, un homme avec qui j’ai sympathisé sur le quai parle pour moi au préposé, et m’obtiens une couchette. Je ne paie rien. Le contrôleur dit, plus tard, quand je repasserai, bref je n’avais plus qu’à me cacher quand il repasserait, c’est ce que j’ai fait.
Il me reste ainsi assez d’argent pour manger pendant ces deux jours, mais dans ce train-là, la nourriture n’était pas à se lécher les doigts. Enfin, si, évidemment, pour les nettoyer!
MEETING A BRAHMIN
Moitié du temps perché sur ma couchette, l’autre moitié à parler avec mes voisins, celui qui a le meilleur anglais est brahmane, la plus haute caste dans la hiérachie sociale hindoue. Il est aussi membre de l’ISKON (International Society for Krishna Consciousness). Très répandue en Europe et USA et plus connue sous le nom de Hare Krishna, elle est considérée comme une secte en France. Je ne vous dirai pas ici ce que j’en pense. Il m’explique énormément de choses, sur sa caste de prêtres, sur le mariage hindu, sur Lord Krishna et la discipline à laquelle doivent se tenir ses adeptes, sur la musique religieuse. Il apprend un chant actuellement, mais les variations de voix et les différentes subtilités des phases de la mélopée sont tellement complexes qu’il lui faudra encore 5 années d’apprentissage pour le maîtriser. Son guru-ji, son professeur, est en fond d’écran sur son téléphone portable. Mais il n’avait pas sa future femme en photo car il ne l’a véritablement rencontrée que 3 fois en 5 ans. Elle est brahmane aussi, les upper castes ne se marient qu'entre eux. Il a demandé sa main à la mère de la jeune fille, et celle-ci a accepté. Il a une très bonne situation professionnelle il faut dire, travaillant depuis 8 ans dans l’export.
Durant le trajet, assis sur la margelle du train en regardant les paysages de l’Etat d’Orissa que nous traversons, il me fait écouter de la musique traditionnelle en m’expliquant les 8 temps qui composent la structure de toute musique sacrée hindoue. Je décide de lui faire découvrir à mon tour la musique que j’écoute. Je lui demande s’il est prêt à écouter quelque chose qu’il n’a jamais entendu. Avec excitation et un grand sourire qui en disait long sur sa curiosité, il met les écouteurs d’Ipod dans ses oreilles, et je balance le remix de My Moon My Man de Feist par Boys Noize, j’enchaîne avec Phantom puis Waters of Nazareth de Justice, puis, a sa demande, quelques Nocturnes de Chopin et Trois Gymnopedie d’Erik Satie. Je finis par Singin in the Rain par Gene Kelly. Il ne connaissait rien de tout cela, ce qui illustra à mes yeux le très particulier hermétisme indien à la culture occidentale au sens large, en dépit des siècles de colonisation britannique et portugaise. Mais si je le branchais sur le cricket, sur Bollywood ou sur l’épopée de Ramayana, il était comme dans son bain.
SOME RELIEF
Le train arrive en gare de Chennai, et je me dis, yes, ça y est je l’ai fait, j’y suis arrivé, Kolkata-Chennai en train avec l’équivalent de 10€ en poche!
Je suis tellement heureux de revoir mon frère. Quand il rentre du travail, il trouve son appartement redécoré avec des drapeaux de prière bouddhistes qui ne vont pas tarder de s’emmêler dans les ventilos du plafond! On se fait une petite session photos, je lui montre mes trésors de voyage et, comme j’en rêvais, on commande des pizzas et on regarde un film! (Broken Flowers de Jim Jarmush, go for it!) J’adore ces moments-là avec Pierre. On fera ça jusqu’à la fin de notre vie je crois.
Cricket players
Howrah Bridge, le pont le plus frequente au monde
La gare de Howrah
Kolkata-Chennai, 40h de train
Mon pote le brahmane a droite, un etudiant a gauche
Paysage de l'Etat costal d'Orissa
C’est ainsi que s’achèva un voyage inoubliable d’un mois en Inde du Nord et au Népal.